Covid 19- Force Majeure?
Force majeure et Coronavirus … Quels droits ?
La force majeure est un évènement imprévisible, irrésistible ou insurmontable (non fautif) qui rend impossible l’exécution d’une obligation et libère le débiteur. Dans ce cadre, le confinement peut rendre impossible l’exécution des obligations professionnelles des prestataires, par ordre de l’autorité publique ou plus exactement en conséquence de cet ordre.
La proposition de loi accordant au gouvernement des pouvoirs spéciaux pour trois mois renouvelables, dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, a été votée ce 26 mars 2020 à la Chambre, en séance plénière. Un avant-projet d’arrêté royal de pouvoirs spéciaux à effet au 18 mars 2020 concerne la force majeure (et la prorogation des délais de procédure civile) qui dispose notamment :
Art 1er : « Par dérogation aux dispositions légales et réglementaires et sans préjudice des régimes spéciaux à adopter par les autorités compétentes, la menace du virus Covid-19 et la prise de mesures à son encontrepar les autorités durant la période allant du 18 mars 2020 au 5 avril 2020 inclus, date de fin susceptible d’être adaptée par le Roi, sont d’office considérées comme constituant un cas de force majeure. »
Art 4 : « Le présent arrêté ne s’applique pas en ce qui concerne : (…) le paiement des dettes d’argent, l’exécution d’un emploi contractuel ou statutaire (…).
Le loyer, le prix d’une vente ou la rémunération, sont des dettes pécuniaires, qui sont justement exclues de la fiction de force majeure installée par l’article 1er précité.
Toutefois, la jurisprudence et la doctrine nous enseignent :
La Cour de cassation a jugé que l’impossibilité d’exécution « ne se conçoit même point lorsque l’obligation ne consiste que dans le paiement d’une somme d’argent » (Cass., 13 mars 1947, Pas., 1947, I, p. 108).
Aujourd’hui la règle traditionnelle genera non pereunt doit être écartée chaque fois que le débiteur se trouve en présence d’une véritable impossibilité d’exécution non fautive, découlant d’une cause étrangère (F. Glansdorff, « la force majeure », J.T., 2019, p. 355 ; voy. aussi A. De Boeck, « Genera non pereunt, of toch wel ? », R.G.D.C., 2009, p. 437).
Le principe de payer une somme d’argent revient en réalité à l’appréciation du caractère insurmontable de l’empêchement : « l’impossibilité doit s’apprécier de manière raisonnable et humaine », dit le Prof. Wéry (« Droit des obligations », vol. I, Larcier, Bruxelles, 2010, p. 499).
Monsieur De Page ajoute « il faut, mais il suffit, que l’exécution soit normalement impossible, au égard aux circonstances et aux conditions de vie (…) En toutes choses, il y a mesure à tenir. Cette mesure est ici l’impossibilité réelle normale d’exécution et non l’impossibilité théorique absolue » (H. De Page, « Traité élémentaire de droit civil belge », T. II, Bruylant, Bruxelles, 1964, p. 562).
Payer n’est jamais impossible, mais cela n’exclut pas pour autant que, dans certaines circonstances, un cas de force majeure puisse justifier l’inexécution d’une obligation pécuniaire, même si la jurisprudence est rétive et divisée sur le sujet (A. Van Oevelen, « Overmacht en imprevisie in het Belgische contractenrecht », T.P.R., 2008, p. 603).
Ceci étant, une circonstance rendant non pas impossible mais seulement plus difficile ou plus onéreuse l’exécution de l’obligation de paiement, n’est pas constitutive de force majeure (Cass., 25 janvier 1967, Pas., 1967, p. 782). « Le débiteur peut invoquer la force majeure lorsqu’il ne pourrait atteindre le résultat prévu qu’en fournissant une prestation dépassant celle définie par les obligations contractuelles qui pèsent sur lui » (P. Van Ommeslaghe, « Droit des obligations », Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 1384).
En résumé, l’interdiction actuelle et subie d’exploiter pour certaines entreprises peut les confronter à un cas de force majeure, même pour l’exécution d’une obligation pécuniaire mais seulement dans des cas exceptionnels et temporaires.
Ainsi, la force majeure n’est pas exonératoire en totalité ou définitivement et la situation sanitaire actuelle comme ses effets sur l’exploitation des entreprises constituent plutôt un cas d’impossibilité temporaire de sorte que l’obligation est seulement suspendue, et non éteinte ; Le débiteur bénéficiera donc d’un moratoire au loyer, ou d’un délai pour payer le prix de ses fournitures ou de son investissement.
En conclusion, sur un plan strictement juridique, les parties sont confrontées à un cas de force majeure et au « fait du Prince », soit une décision de l’autorité sans faute quelconque ; De la sorte, l’exécution des obligations découlant du contrat est suspendue (pour autant qu’aucune clause contractuelle n’exclue la force majeure comme cause de suspension du contrat ou du paiement).
Le débiteur devra s’exécuter de son paiement, une fois l’empêchement disparu (F. Glansdorff, opus cité, p. 358).
Le cocontractant, par application de la théorie des risques, pourra lui aussi suspendre son obligation ; le bailleur ne devra plus garantir la jouissance paisible, et le vendeur pourra différer la délivrance.
Pour conserver de bonnes relations contractuelles, la bonne intelligence et la bonne foi seront toujours de mises.